Décider avec discernement en période d’incertitude

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Sylvie-Nuria Noguer

Coach professionnelle certifiée PCC

Sylvie-Nuria NOGUER

Nous prenons des centaines de décisions chaque jour. Ces décisions façonnent notre vie à court ou à long terme, cependant, rares sont les occasions de prendre un temps de recul pour réfléchir à notre processus décisionnel.

Pensez à une décision difficile que vous avez prise au cours des derniers mois. Quel a été le plus grand défi pour vous dans cette décision ? La complexité d’une décision dépend de différents facteurs : le nombre de parties prenantes, la diversité et l’interdépendance des enjeux, l’incertitude sur les données et sur les conséquences sur les personnes pour n’en citer que quelques-uns. Ajoutez à cela un sentiment d’urgence et la prise de décision peut rapidement se transformer en casse-tête.

Cependant, les défis de décision ne sont pas uniquement liés à la situation elle-même. En effet, notre propre psyché et notre attitude face à la situation en tant que décideurs ont également une influence sur la qualité et la pertinence des décisions que nous prenons. D’un côté, les biais cognitifs, mis en évidence par Daniel Kahneman[1] et Amos Tversky depuis les années 1970, affectent notre raisonnement et ont un impact sur notre capacité à faire les bons choix. D’autre part, nos émotions, souvent exacerbées par l’incertitude, peuvent mettre à mal notre capacité à prendre des décisions optimales, comme l’ont démontré Antonio Damasio[2] et Daniel Goleman[3].

Le discernement est une qualité essentielle pour prendre des décisions optimales face à l’incertitude et la complexité. La bonne nouvelle est que cette faculté se cultive ; chacun peut développer sa capacité à voir distinctement (discernere) par le questionnement, l’auto-réflexion et le dialogue – avec soi-même et avec les autres – pour prendre de meilleures décisions.

Intuition ou impulsion ?

L’intuition est définie comme une connaissance immédiate, sans raisonnement analytique, qui se manifeste à travers une pensée ou une sensation. Lors d’un processus de décision, la première idée qui vient à l’esprit émerge souvent de ce processus inconscient, qui peut s’avérer particulièrement utile et pertinent lorsque nous sommes face à une décision qui relève de notre domaine d’expertise. Cependant face à une situation nouvelle ou complexe, cette première idée peut manquer de recul ou de profondeur nécessaire à une décision optimale.

Dans certaines organisations un bon décideur est vu comme quelqu’un qui décide vite. Pourtant en matière de prise de décision, la rapidité n’est pas toujours gage de qualité, tant les biais cognitifs peuvent influencer ce mode de pensée inconscient mis en évidence par Daniel Kahneman. Ce que nous appelons intuition cache parfois une impulsion, une préférence dictée par l’émotion ou les biais inconscients plutôt que par la sagesse.

Dans des situations complexes ou d’incertitude extrême, il est d’autant plus important pour les décideurs de prendre du recul, de clarifier ce qui est essentiel pour eux et pour parties prenantes, de remettre en question leurs idées préconçues à l’épreuve des faits et d’être conscient des mouvements émotionnels qui les traversent avant d’évaluer différentes options.

Connaître son système

L’une des premières étapes de la prise de décision consiste à comprendre la situation dans une approche systémique afin de déterminer le champ de la décision, en ce concentrant sur ce que vous pouvez changer ou influencer – ce dépend de vous – et de lâcher prise sur ce qui ne dépend pas de vous.

En temps de crise, il est particulièrement important de développer une vision de la situation à deux niveaux :

Vision périphérique : il s’agit d’identifier les acteurs de la situation, leurs besoins, leurs ressources et modes de fonctionnement, tout en étant conscient des interdépendances au sein du système. Quels sont les enjeux ? les tendances ? quels sont les signaux faibles à surveiller ?

Vous devez également être au clair sur les échéances et sur le processus de décision. Quand la décision doit-elle être prise ? Comment allez-vous impliquer les parties prenantes ?

– Vision focale : il s’agit de surveiller les paramètres vitaux du système pour déterminer le niveau de criticité de la situation et agir en temps réel. Quels sont les indicateurs critiques ? Sur quels aspects de la situation souhaitez-vous agir ? S’agit-il d’une opportunité à saisir, d’une anomalie à corriger ou une alerte rouge nécessitant une action immédiate ? De quoi êtes-vous responsable dans cette situation ?

L’essentiel avant l’important avant l’urgent

Le fondement d’une prise de décision pertinente est de mettre l’essentiel au cœur de votre processus de délibération, au-delà des critères et des aspects contingents. Cela demande de clarifier la finalité de la décision – le ‘pour quoi ?’ – avant de peser le pour et le contre de différentes options valables – de préférence deux ou trois. Au-delà des résultats attendus, qu’est-ce qui est essentiel pour vous et pour les parties prenantes dans cette situation ? À quoi souhaitez-vous contribuer par votre décision ?

Lorsque le commandant Chesley Sullenberger (Sully), pilote du vol US Airways 1549, a effectué un atterrissage d’urgence sur la rivière Hudson le 15 janvier 2009, sa finalité était claire, comme il l’a l’expliqué dans une interview donnée quelques années plus tard[4] : « Je voulais sauver des vies, et si cela signifiait mettre un avion de 60 millions de dollars à l’eau, alors c’est ce qu’il y avait à faire. » 

Élargir le champ des possibles

“Nous n’avons pas le choix !” Le piège de la « solution unique » est le piège le plus courant de la prise de décision, comme l’a démontré Paul Nutt[5]. Les situations dans lesquelles il existe « une et une seule solution » se rencontrent plus souvent dans la résolution d’équations mathématiques que dans la vraie vie. Face à une situation complexe, il existe toujours plusieurs options, chacune ayant des conséquences plus ou moins positives pour le décideur et pour les parties prenantes.

Pour se donner toutes les chances de prendre une décision optimale, le décideur aura intérêt à générer des idées et à identifier au moins deux ou trois options qu’il pourra évaluer en parallèle. Pour rechercher des solutions qui satisfassent les besoins mutuels des parties prenantes le décideur pourra s’appuyer sur des processus tirant parti de l’intelligence collective – par exemple des sessions de brainstorming ou de World Café.

Cette étape d’idéation est plus souvent une question d’ouverture et d’état d’esprit que de temps ; il aura fallu seulement quelques dizaines de secondes au commandant Sully pour évaluer les deux options proposées par la tour de contrôle de l’aéroport – retour à La Guardia ou déviation vers l’aéroport de Teterboro – avant d’en générer une troisième qui s’est avéré la plus favorable.


[1] KAHNEMAN, D. (2012). Système 1/Système 2 : Les deux vitesses de la pensée. Paris : Flammarion.

[2] DAMASIO, A. (1995). L’Erreur de Descartes : la raison des émotions. Paris : Odile Jacob.

[3] GOLEMAN, D. (1997). L’Intelligence émotionnelle : Comment transformer ses émotions en intelligence. Paris : Robert Laffont.

[4] https://www.newsweek.com/miracle-hudson-343489

[5] NUTT, P. C. (2002). Why Decisions Fail? Berret-Koelher.